LE SENTIMENT DE LA NATURE
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La grande question serait d'obtenir que lorsqu'un être a trompé un autre être, il soit incapable de prendre à la main un verre qui ne se brise pas aussitôt. Bien des inventeurs ont consacré leur sommeil et leurs veilles à la solution de ce problème, mais sans que jusqu'à présent aucun des verres imaginés ait présenté les qualités requises. Le fait est que si c'est l'élégance seule du verre qui permet de boire et si c'est le tremblement seul du buveur ou de la buveuse qui communique ses vibrations à la tempête toujours supposée à l'intérieur du verre vide, l'émotion de l'un ou de l'autre ne peut suffire dans la plupart des cas à provoquer l'éclatement d'une parcelle de matière transparente qui fait bombe à l'extrémité des doigts. Ces grêlons qui ont mûri dans l'inconstance et dans l'oubli ne permettent pas à ceux qui boivent de prendre l'attitude détachée des amateurs de jalousie.
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Lorsqu'on observe attentivement sa propre vie on a souvent l'impression que les joies et les douleurs se maintiennent pendant un temps appréciable. Nous avons été surpris, de la rue Louis-Blanc à la rue Louis-Noir, de la durée de la période du phénomène oscillatoire : d'après nous les points brillants sont ceux où la vie est vue en raccourci.
Nouvelle édition enrichie - Editions SEGHERS - Collection Poésie d'abord - pages 71 à 72