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11 mars 2022 5 11 /03 /mars /2022 19:16

 

Il est dans l'univers deux puissances fatales

Qui toute notre vie nous tiennent dans leur main,

Depuis notre berceau jusqu'à l'heure létale :

L'une est la Mort, l'autre est le Jugement humain.

 

Tous deux également ils sont impitoyables,

Contre tous les deux il n'est pas de recours.

Nul ne peut protester, leur verdict redoutable

Ferme la bouche aux plaignants pour toujours.

 

Mais la mort ne connait aucune clientèle,

Rien ne saurait la toucher, l'ébranler.

Que vous soyez soumis, que vous soyez rebelle,

Sa grande faux est là pour tout égaliser.

 

Le monde, lui, n'est pas un tel juge équanime :

Il ne tolère pas qu'on conteste sa loi.

Il ne fauche pas tout, il choisit ses victimes

Dans les plus beaux épis : c'est d'eux qu'il fait ses proies.

 

Malheur à celle donc qui, remplie de jeunesse,

Et de force, et d'orgueil, ose se rebeller,

A celle dont les yeux sont pleins de hardiesse,

Et qui vient le braver dans un défi altier.

 

Lorsqu'elle ira, résolue et tranquille,

Par sa beauté encor plus enhardie,

Clamer ses droits, et dans toute la ville

De son plein gré braver la calomnie,

 

Alors, malheur ! Car plus elle est sincère,

Plus écrasant sera le jugement.

Le monde est inhumain ; jamais il ne tolère

Qu'on soit humain ouvertement !

 

Poème extrait p. 90 du recueil Poésies, traduites du russe par Paul Garde, aux Editions L'âge de l'homme(1987), dans la collection Classiques slaves.

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6 mars 2022 7 06 /03 /mars /2022 17:14

 

L'hiver a figé le torrent.

Il a disparu sous la glace,

Et dans le grand silence blanc,

Plus de son. Toute vie s'efface.

Mais le froid ne peut s'arrêter

L'immortelle vie de la source.

On l'entend toujours murmurer,

Poursuivant sa bruissante course.

 

Ainsi, quand le froid de la vie

A tué le cœur esseulé,

Quand la jeunesse s'enfuie,

S'installe un silence glacé.

Mais la vie ne s'arrête pas

Sous cette glace qui l'enserre,

Et l'on entend bruire parfois

Son murmure plein de mystère.

 

Poème extrait p. 50 du recueil Poésies, traduites du russe par Paul Garde, aux Editions L'âge de l'homme(1987), dans la collection Classiques slaves.

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5 mars 2022 6 05 /03 /mars /2022 20:03

LES EAUX PRINTANIERES

 

La neige est encor dans les champs,

Et déjà on entend les eaux.

Elles courent en fins ruisseaux,

Courant, scintillant et clamant.

 

Elles clament à pleine voix :

"C'est le printemps, c'est le printemps !

Ecoutez tous son mandement :

Le jeune printemps nous envoie !"

 

C'est le printemps ! Il vient à nous.

Autour de lui se sont groupés

Tièdes et doux, les jours de mai

En cortège joyeux et flou.

 

Poème extrait p. 39 du recueil Poésies, traduites du russe par Paul Garde, aux Editions L'âge de l'homme(1987), dans la collection Classiques slaves.

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1 mars 2022 2 01 /03 /mars /2022 19:11

LES FEUILLES

 

Que pins et sâpins

Tout l'hiver verdoient,

Drapés dans la neige,

Dormant sans émoi.

Leur verdure triste,

Leurs piquants mauvais

Jamais ne jaunissent,

Jamais ne sont frais.

 

Nous, joyeuse race,

Nous resplendissons.

Pour quelques semaines

Nous ornons les troncs.

Tant que l'été dure

Nous étions parées,

Ornées de lumière,

Baignées de rosée.

 

Les oiseaux se taisent,

Les fleurs sont fanées.

Le soleil est pâle,

La brise est tombée.

Pourquoi, inutiles,

Rester à jaunir ?

Mieux vaut à leur suite

Bien loin nous enfuir.

 

Ouragans d'automne,

Levez-vous, soufflez !

Secouez les branches

Pour nous délivrer.

Ne faites pas grâce,

Jetez-vous sur nous !

Vous volez bien vite,

Volons avec vous !

 

Poème extrait du recueil Poésies, traduites du russe par Paul Garde, aux Editions L'âge de l'homme(1987), dans la collection Classiques slaves.

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26 novembre 2020 4 26 /11 /novembre /2020 19:14

NEVRALGIE

 

I

Jusques à mon chevet me poursuit mon idée
Fixe : toutes les nuits j'en ai l'âme obsédée.
Pour noyer au sommeil ce démon flétrissant,
Des sucs de l'opium le charme est impuissant.
Au seuil de mon oreille, une voix sourde et basse
Comme l'essoufflement d'un homme qui trépasse,
Murmure : "Pauvre fou ! sois d'airain désormais.
Elle ne t'aimera jamais - jamais - jamais !..."
Alors, tout frissonnant, je saute de ma couche ;
Autour de moi je plonge un long regard farouche ;
Et je vais saccadant mes pas... et dans mon sein
Le terrible jamais vibre comme un tocsin !
Et puis, d'un vent de feu l'haleine corrosive
Vient courber, torturer mon âme convulsive :
Et je me persuade en mon fébrile émoi,
Que, dans l'alcôve, on parle, on rit tout bas de moi.

 

II

Ce vertige à la fin tombe... et je sens mon être
S'anéantir : - j'ai froid - et, devant ma fenêtre,
Je vais m'asseoir ; le plomb d'un stupide repos
Emmantèle mes sens : à travers les carreaux,
D'un oeil horriblement tranquille, je contemple
La lune qui, juchée au faîte du saint temple,
Semble, sous le bandeau de sa rousse clarté,
Le spectre d'une nonne au voile ensanglanté.

 

III

Oh ! si, comme une fée amante de la brise,
La Mort sur un nuage avec mollesse assise,
Descendant jusqu'à moi du haut de l'horizon,
Venait pour piédestal élire ce balcon !...
Mon œil s'arrêterait ardent sur son œil vide,
Je l'emprisonnerais dans une étreinte avide,
Et, le sang tout en feu, j'oserais apposer
Sur sa bouche de glace un délicat baiser !

 

 

Extrait du recueil Feu et flamme (1833)

 

Extrait de La bibliothèque de poésie 18è/19è Le romantisme Editions France Loisirs p. 190.

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21 novembre 2020 6 21 /11 /novembre /2020 20:07

 

La vision

 

Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l’ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j’aime, je ne sais pas
De quel côté s’en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.

 

Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m’as nommé par mon nom
Quand tu m’as appelé ton frère ;
Où tu vas, j’y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j’irai m’asseoir sur ta pierre.

 

Le ciel m’a confié ton cœur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude.

 

Extrait du recueil La Nuit de décembre (Novembre 1835)

 

Extrait de La bibliothèque de poésie 18è/19è Le romantisme Editions France Loisirs p. 178.

 

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13 novembre 2020 5 13 /11 /novembre /2020 19:13

Ballade à la Lune

 

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
        La lune
Comme un point sur un i.

 

Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
        Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?

 

Es-tu l'œil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
        Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?

 

N'es-tu rien qu'une boule,
Qu'un grand faucheux bien gras
        Qui roule
Sans pattes et sans bras ?

 

Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
        Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer ?

 

Sur ton front qui voyage.
Ce soir ont-ils compté
        Quel âge
A leur éternité ?

 

Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
        S'allonge
En croissant rétréci ?

 

Qui t'avait éborgnée,
L'autre nuit ? T'étais-tu
        Cognée
A quelque arbre pointu ?

 

Car tu vins, pâle et morne
Coller sur mes carreaux
        Ta corne
À travers les barreaux.

 

Va, lune moribonde,
Le beau corps de Phébé
        La blonde
Dans la mer est tombé.

 

Tu n'en es que la face
Et déjà, tout ridé,
        S'efface
Ton front dépossédé.

 

Rends-nous la chasseresse,
Blanche, au sein virginal,
        Qui presse
Quelque cerf matinal !

 

Oh ! sous le vert platane
Sous les frais coudriers,
        Diane,
Et ses grands lévriers !

 

Le chevreau noir qui doute,
Pendu sur un rocher,
        L'écoute,
L'écoute s'approcher.

 

Et, suivant leurs curées,
Par les vaux, par les blés,
        Les prées,
Ses chiens s'en sont allés.

 

Oh ! le soir, dans la brise,
Phoebé, sœur d'Apollo,
        Surprise
A l'ombre, un pied dans l'eau !

 

Phoebé qui, la nuit close,
Aux lèvres d'un berger
        Se pose,
Comme un oiseau léger.

 

Lune, en notre mémoire,
De tes belles amours
        L'histoire
T'embellira toujours.

 

Et toujours rajeunie,
Tu seras du passant
        Bénie,
Pleine lune ou croissant.

 

T'aimera le vieux pâtre,
Seul, tandis qu'à ton front
        D'albâtre
Ses dogues aboieront.

 

T'aimera le pilote
Dans son grand bâtiment,
        Qui flotte,
Sous le clair firmament !

 

Et la fillette preste
Qui passe le buisson,
        Pied leste,
En chantant sa chanson.

 

Comme un ours à la chaîne,
Toujours sous tes yeux bleus
        Se traîne
L'océan montueux.

 

Et qu'il vente ou qu'il neige
Moi-même, chaque soir,
        Que fais-je,
Venant ici m'asseoir ?

 

Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni,
        La lune
Comme un point sur un i.

 

Peut-être quand déchante
Quelque pauvre mari,
        Méchante,
De loin tu lui souris.

 

Dans sa douleur amère,
Quand au gendre béni
        La mère
Livre la clef du nid,

 

Le pied dans sa pantoufle,
Voilà l'époux tout prêt
        Qui souffle
Le bougeoir indiscret.

 

Au pudique hyménée
La vierge qui se croit
        Menée,
Grelotte en son lit froid,

 

Mais monsieur tout en flamme
Commence à rudoyer
        Madame,
Qui commence à crier.

 

" Ouf ! dit-il, je travaille,
Ma bonne, et ne fais rien
        Qui vaille;
Tu ne te tiens pas bien. "

 

Et vite il se dépêche.
Mais quel démon caché
        L'empêche
De commettre un péché ?

 

" Ah ! dit-il, prenons garde.
Quel témoin curieux
        Regarde
Avec ces deux grands yeux ? "

 

Et c'est, dans la nuit brune,
Sur son clocher jauni,
        La lune
Comme un point sur un i.

 

Extrait du recueil Contes d'Espagnes et d'Italie (1829)

 

Extrait de La bibliothèque de poésie 18è/19è Le romantisme Editions France Loisirs p 163-167

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8 novembre 2020 7 08 /11 /novembre /2020 20:40

Une allée du Luxembourg

 

Elle a passé, la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
À la main une fleur qui brille,
À la bouche un refrain nouveau.

 

C’est peut-être la seule au monde
Dont le cœur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D’un seul regard l’éclaircirait !

 

Mais non, – ma jeunesse est finie …
Adieu, doux rayon qui m’as lui, –
Parfum, jeune fille, harmonie…
Le bonheur passait, – il a fui !

 

Extrait du recueil Odelettes (1852)

 

Extrait de La bibliothèque de poésie 18è/19è Le romantisme Editions France Loisirs p 133

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7 novembre 2020 6 07 /11 /novembre /2020 20:01

Le premier regret

 

ELEGIE

 

Sur la plage sonore où la mer de Sorrente
Déroule ses flots bleus aux pieds de l'oranger
Il est, près du sentier, sous la haie odorante,
Une pierre petite, étroite, indifférente
           Aux pas distraits de l'étranger !

 

La giroflée y cache un seul nom sous ses gerbes.
Un nom que nul écho n'a jamais répété !
Quelquefois seulement le passant arrêté,
Lisant l'âge et la date en écartant les herbes,
Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir,
Dit : Elle avait seize ans ! c'est bien tôt pour mourir !

 

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ?
Laissons le vent gémir et le flot murmurer ;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
           Je veux rêver et non pleurer !

 

Dit : Elle avait seize ans ! - Oui, seize ans ! et cet âge
N'avait jamais brillé sur un front plus charmant !
Et jamais tout l'éclat de ce brûlant rivage
Ne s'était réfléchi dans un œil plus aimant !
Moi seul, je la revois, telle que la pensée
Dans l'âme où rien ne meurt, vivante l'a laissée ;
Vivante ! comme à l'heure où les yeux sur les miens,
Prolongeant sur la mer nos premiers entretiens,
Ses cheveux noirs livrés au vent qui les dénoue,
Et l'ombre de la voile errante sur sa joue,
Elle écoutait le chant du nocturne pêcheur,
De la brise embaumée aspirait la fraîcheur,
Me montrait dans le ciel la lune épanouie
Comme une fleur des nuits dont l'aube est réjouie,
Et l'écume argentée ; et me disait : Pourquoi
Tout brille-t-il ainsi dans les airs et dans moi ?
Jamais ces champs d'azur semés de tant de flammes,
Jamais ces sables d'or où vont mourir les lames,
Ces monts dont les sommets tremblent au fond des cieux,
Ces golfes couronnés de bois silencieux,
Ces lueurs sur la côte, et ces champs sur les vagues,
N'avaient ému mes sens de voluptés si vagues !
Pourquoi comme ce soir n'ai-je jamais rêvé ?
Un astre dans mon cœur s'est-il aussi levé ?
Et toi, fils du matin ! dis, à ces nuits si belles
Les nuits de ton pays, sans moi, ressemblaient-elles ?
Puis regardant sa mère assise auprès de nous
Posait pour s'endormir son front sur ses genoux.

 

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ?
Laissons le vent gémir et le flot murmurer ;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
           Je veux rêver et non pleurer !

 

Que son œil était pur, et sa lèvre candide !
Que son ciel inondait son âme de clarté !
Le beau lac de Némi qu'aucun souffle ne ride
A moins de transparence et de limpidité !
Dans cette âme, avant elle, on voyait ses pensées,
Ses paupières, jamais sur ses beaux yeux baissées,
Ne voilaient son regard d'innocence rempli,
Nul souci sur son front n'avait laissé son pli ;
Tout folâtrait en elle; et ce jeune sourire,
Qui plus tard sur la bouche avec tristesse expire,
Sur sa lèvre entrouverte était toujours flottant,
Comme un pur arc-en-ciel sur un jour éclatant !
Nulle ombre ne voilait ce ravissant visage,
Ce rayon n'avait pas traversé de nuage !
Son pas insouciant, indécis, balancé,
Flottait comme un flot libre où le jour est bercé,
Ou courait pour courir; et sa voix argentine,
Echo limpide et pur de son âme enfantine,
Musique de cette âme où tout semblait chanter,
Egayait jusqu'à l'air qui l'entendait monter !

 

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ?
Laissez le vent gémir et le flot murmurer ;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
          Je veux rêver et non pleurer !

 

Mon image en son cœur se grava la première ;
Comme dans l'œil qui s'ouvre, au matin, la lumière ;
Elle ne regarda plus rien après ce jour ;
De l'heure qu'elle aima, l'univers fut amour !
Elle me confondait avec sa propre vie,
Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie
De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux,
Du bonheur de la terre et de l'espoir des cieux,
Elle ne pensait plus au temps, à la distance,
L'heure seule absorbait toute son existence ;
Avant moi cette vie était sans souvenir,
Un soir de ces beaux jours était tout l'avenir !
Elle se confiait à la douce nature
Qui souriait sur nous ; à la prière pure
Qu'elle allait, le cœur plein de joie, et non de pleurs,
A l'autel qu'elle aimait répandre avec ses fleurs ;
Et sa main m'entraînait aux marches de son temple,
Et, comme un humble enfant, je suivais son exemple,
Et sa voix me disait tout bas : Prie avec moi !
Car je ne comprends pas le ciel même sans toi !

 

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ?
Laissez le vent gémir et le flot murmurer ;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
          Je veux rêver et non pleurer !

 

Voyez, dans son bassin, l'eau d'une source vive
S'arrondir comme un lac sous son étroite rive,
Bleue et claire, à l'abri du vent qui va courir
Et du rayon brûlant qui pourrait la tarir !
Un cygne blanc nageant sur la nappe limpide,
En y plongeant son cou qu'enveloppe la ride,
Orne sans le ternir le liquide miroir,
Et s'y berce au milieu des étoiles du soir ;
Mais si, prenant son vol vers des sources nouvelles,
Il bat le flot tremblant de ses humides ailes,
Le ciel s'efface au sein de l'onde qui brunit,
La plume à grands flocons y tombe, et la ternit,
Comme si le vautour, ennemi de sa race,
De sa mort sur les flots avait semé la trace ;
Et l'azur éclatant de ce lac enchanté
N'est plus qu'une onde obscure où le sable a monté !
Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette âme ;
Le rayon s'éteignit ; et sa mourante flamme
Remonta dans le ciel pour n'en plus revenir ;
Elle n'attendit pas un second avenir,
Elle ne languit pas de doute en espérance,
Et ne disputa pas sa vie à la souffrance ;
Elle but d'un seul trait le vase de douleur,
Dans sa première larme elle noya son cœur !
Et, semblable à l'oiseau, moins pur et moins beau qu'elle,
Qui le soir pour dormir met son cou sous son aile,
Elle s'enveloppa d'un muet désespoir,
Et s'endormit aussi ; mais, hélas ! loin du soir !

 

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ?
Laissons le vent gémir et le flot murmurer ;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
          Je veux rêver et non pleurer !

 

Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile,
Et rien ne pleure plus sur son dernier asile ;
Et le rapide oubli, second linceul des morts,
A couvert le sentier qui menait vers ces bords ;
Nul ne visite plus cette pierre effacée,
Nul n'y songe et n'y prie !... excepté ma pensée,
Quand, remontant le flot de mes jours révolus,
Je demande à mon cœur tous ceux qui n'y sont plus !
Et que, les yeux flottants sur de chères empreintes,
Je pleure dans mon ciel tant d'étoiles éteintes !
Elle fut la première, et sa douce lueur
D'un jour pieux et tendre éclaire encor mon cœur !

 

Mais pourquoi m'entraîne! vers ces scènes passées ?
Laissez le vent gémir et le flot murmurer ;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
          Je veux rêver et non pleurer !

 

Un arbuste épineux, à la pâle verdure,
Est le seul monument que lui fit la nature ;
Battu des vents de mer, du soleil calciné,
Comme un regret funèbre au cœur enraciné,
Il vit dans le rocher sans lui donner d'ombrage ;
La poudre du chemin y blanchit son feuillage,
Il rampe près de terre, où ses rameaux penchés
Par la dent des chevreaux sont toujours retranchés ;
Une fleur, au printemps, comme un flocon de neige
Y flotte un jour ou deux ; mais le vent qui l'assiège
L'effeuille avant qu'elle ait répandu son odeur,
Comme la vie, avant qu'elle ait charmé le cœur !
Un oiseau de tendresse et de mélancolie
S'y pose pour chanter sur le rameau qui plie !
Oh! dis, fleur que la vie a fait sitôt flétrir,
N'est-il pas une terre où tout doit refleurir ?

 

Remontez, remontez à ces heures passées !
Vos tristes souvenirs m'aident à soupirer !
Allez où va mon âme ! Allez, ô mes pensées,
           Mon cœur est plein, je veux pleurer.

 

Extrait du recueil Harmonie poétiques et religieuses (1830)

 

Extrait de La bibliothèque de poésie 18è/19è Le romantisme Editions France Loisirs p 68 à 72

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6 novembre 2020 5 06 /11 /novembre /2020 19:57

L'automne

 

Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !

 

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

 

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits,
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

 

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !

 

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !

 

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?

 

Peut-être l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ? ...

 

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.

 

Extrait du recueil Méditations poétiques

 

Extrait de La bibliothèque de poésie 18è/19è Le romantisme Editions France Loisirs p 62 à 63

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