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31 janvier 2014 5 31 /01 /janvier /2014 20:29

http://www.monde-diplomatique.fr/local/cache-vignettes/L300xH389/arton50067-5881a.jpgp27 [...]Derrière une rangée de fils de fer barbelés, l'entrepôt surgit. "Au troisième étage de FRA-1, il n'y a aucune fenêtre, aucune ouverture, et pas de climaisation, témoigne cette ex-employée. L'été, la température dépasse les 40°C, et les malaises sont alors très fréquents. Un jour - je m'en souviendrai toute ma vie - alors que j'étais en train de "picker" [prendre des marchandises dans les alvéoles mételliques], j'ai trouvé une fille allongée sur le sol qui vomissait. Son visage était bleu. J'ai vraiment cru qu'elle allait mourir. Comme nous n'avions pas de civière, le manager nous a demandé d'aller chercher une palette en bois sur laquelle nous l'avons allongée pour la transporter jusqu'à l'ambulance."

[...]Le Syndicat de la librairie française a en effet mesuré que, à chiffre d'affaires égal, une librairie de quartier génère dix-huit fois plus d'emplois que la vente en ligne. Pour la seule année 2012, l'Association des libraires américains (American Booksellers Association, ABA) évalue à quarante-deux mille le nombre d'emplois anéantis par Amazon dans le secteur : 10 millions de dollars de chiffre d'affaires pour la multinationale représenteraient trente-trois suppressions d'emplois dans la librairie de proximité.

P 28 : [...Tous, considérés comme des chapardeurs potentiels, subissent des fouilles minutieuses assurées par des vigiles : ils passent par des portiques de sécurité lors de leur sortie définitive ou de leur pause, ainsi raccourcie par ce fastidieux contrôle qui génère de longues files d'attente. Amazon refusant de placer les pointeuses des entrepôts au niveau du point de fouille, des travailleurs des centres de distribution du Kentucky, du Tennessee et de l'Etat de Washington, aux Etats-Unis, ont déjà lancé quatre poursuites judiciaires afin de lui rélamer le paiement de ce temps d'attente non rénuméré qu'ils estiment à quarante minutes par semaine.] 

[...]"Durant cette période" (quatrième trimestre), explique M. Heiner REIMANN, l'un des permanents spécialisés détachés par Ver.di en 2010 afin d'implanter et d'accompagner une action syndicale, "le nombre de travailleurs passe brusquement de trois mille pour les deux entrepôts à plus de huit mille. Des intérimaires en provenance de toute l'Europe arrivent à Bad Hersfield, et sont logés dans des conditions terribles. Ici, pour traiter ces milliers de contrats intérimaires, Amazon a embauché des secrétaires chinoises. L'an dernier, elles travaillent dans une grande salle vide, sans meubles, et empilaient les contrats à même le sol, un à un. C'est surréaliste." Chômeurs espagnols, grecs, polonais, ukrainiens, portugais convergent en autocar des quatre coins de l'Europe, enrolés par des agences d'intérim.

[...]L'Allemand Norbert FALTIN, ex-cadre dans l'informatique brusquement licencié en 2010, a dû accepter de devenir du jour au lendemain ouvrier picker intérimaire à Bad Hersfeld. " En plein hiver, j'ai logé pendant trois mois avec cinq étrangers dans un bungalow normalement utilisé par des estivants, et qui n'était donc pas équipé de chauffage. Je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie. Nous étions tous des adultes et nous dormions à tour de rôle dans le lit pour enfant."

P 30 : [...]En France, le 10 Juin 2013, une centaine de salariés de l'entrepôt de Saran (Loiret) étaient également en grève à l'appel de la Confédération générale du travail (CGT). Tous ont été convoqués individuellement le lendemain. "Parce que je suis syndicaliste, j'ai été soumis à des fouilles arbitraires durant mon temps de travail, témoigne M. Clément JAMIN, de la CGT. Je les ai refusées ; on m'a alors demandé de m'asseoir sur une chaise, soi-disant le temps que la police arrive. Je suis resté assis six heures devant tout le monde, et la police n'est jamais venue. Ils ont essayé de me faire le même coup le lendemain et le surlendemain. La CGT a déposé plainte."

P 31 : ...]L'enregistrement en temps réel de la performance des travailleurs permet aux contremaitres de les géolocaliser à tout moment dans l'entrepôt, d'obtenir des courbes et historique de leur rendement, mais aussi d'organiser leur mise en concurrence. M. REIMANN a récemment découvert que cette mesure, "qui est une donnée personnelle, est envoyée chaque jour par informatique depuis les entrepôts allemands à Seattle, aux Etas-Unis, où elle est stockée. C'est tout à fait illégal!" Ancien manager d'Amazon en France ayant suivi les formations internes au Luxembourg, M. BEN SIHAMDI confirme cette pratique que les ouvriers ignorent : "Toutes leurs données de productivité sont enregistrées, centralisées à la seconde par informatique, puis envoyées à Seattle."

Si les employés sont mis en concurrence, la sémantique maison les invite également à "signaler des anomalies". "Cela peut être un carton qui bouche une entrée, explique Mohamed. Mais cela peut aussi être un collègue en train de discuter. Il faut alors le dénoncer. C'est bien vu pour monter en grade et devenir lead, contremaître." "Un jour, se remémore M. SIHAMDI, à un collègue qui m'interrogeait sur la formtune de Jeff Bezos, j'ai répondu que cela me donnait envie de vomir. Il m'a dénoncé, et j'ai été rappelé à l'ordre pour avoir critiqué l'"esprit Amazon"! L'ambiance de travail est délétère ; tout le monde se surveille. Et les intérimaires sont traités comme de la viande, ce qui m'était insupportable. Je connais bien le monde industriel, notamment celui de l'automobile. Mais mon expérience chez Amazon est de trés loin la plus violente de ma carrière d'ingénieur."

[...]Soutien des grèves menées par Ver.di, le journaliste allemand Günter WALLRAFF suit avec attention le développement fulgurant d'Amazon. Depuis Cologne, il raconte avoir mui-même tenté un bras de fer avec le mastodonte du commerce en ligne : "Quand j'ai découvert les conditions de travail de ses ouvriers, j'ai immédiatement appelé au boycott et demandé à mon éditeur de retirer mes livres du site. Cela lui a posé problème : Amazon représente 15% de ses ventes. Après avoir débattu de l'idée, la maison d'édition s'est néanmoins alignée sur mon exigence. Mais, désormais, Amazon se fournit chez des grossistes pour continuer de vendre mes livres! Et cela, je ne peux malheureusement pas l'empêcher. Je suis donc critiqué par des gens qui me disent : "Tu fais de beaux discours, mais tes livres continuent d'être vendus sur Amazon"...En réalité, on ne peut pas combattre cette entreprise individuellement. C'est une multinationale organisée selon une idéologie bien définie. Son système ne nous pose pas la simple question, neutre, de savoir si nous voulons ou non consommer sur son site Internet ; il nous pose des questions politiques : celles de notre choix de société."

Extrait de "Amazon, l'envers de l'écran" par Jean-Baptiste MALET, journaliste, auteur de l'enquête "En Amazonie. Infiltré dans le "meilleur des mondes"" (Fayard, Paris, 2013), pour laquelle il a travaillé comme ouvrier intérimaire dans un entrepôt français d'Amazon en novembre 2012.

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