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21 juillet 2017 5 21 /07 /juillet /2017 21:44

LETTRE DE TATIANA A ONEGUINE

Je vous écris - quoi d'autre à dire ?

J'ai tout dit si je vous écris.

Je sais, cela peut vous suffire

Pour me punir par le mépris.

Mais dans ma peine, mon martyre,

Vous qui gardez un coeur qui bat,

Vous ne vous détournerez pas.

Au début, j'ai voulu me taire ;

Croyez-moi, vous n'auriez pas su

Mon déshonneur, si j'avais pu

Nourrir l'espoir, même éphémère,

De vous revoir de temps en temps

Dans la maison de mes parents.

Juste écouter ce que vous dites,

Répondre un mot, et, seule, après,

Penser, penser, oui, sans arrêt,

Attendre encore une visite.

Les gens, dit-on, vous les fuyez ;

Tout vous ennuie dans nos retraites ;

Chez nous, si vous vous ennuyez,

Pour nous, vous voir est une fête.

 

Par quel hasard être venu ?

Dans mon désert, dans mon silence,

Je ne vous aurai pas connu,

J'aurais pu vivre sans souffrance,

Le feu d'un coeur sans expérience,

Avec le temps, se serait tu,

Quelqu'un aurait compris mon âme,

Je serais devenue sa femme,

Mère et modèle de vertu.

 

Un autre!...Non, personne au monde

N'aurait jamais reçu ma foi ;

C'est un décret des çieux qui grondent :

Ils ont tranché - je suis à toi !...

Ma vie entière fut un gage

De notre alliance dans l'amour -

Des dieux tu portes le message,

Gardien fidèle de mes jours.

C'est toi qui me venais en rêve,

Invisible et déjà chéri,

Tes yeux brûlaient dans mon esprit,

Ta voix me poursuivait sans trêve

Depuis longtemps...Rêver cela ?

Non, tu entras - je fus certaine,

Un froid brasier emplit mes veines,

Je lus dans l'âme : le voilà !

Eh quoi ? ta voix m'est familière,

Tu me parlais, douce lumière,

Lorsque j'aidais les miséreux

Ou soulageais par la prière

Du coeur le trouble douloureux.

Et là, à la minute même,

N'est-ce pas toi, vision que j'aime,

Qui dans la transparente nuit

Viens effleurer ma chevelure,

Toi dont la voix aimante et pure

Ressuscite l'espoir enfui ?

Qui donc es-tu, es-tu un ange

Ou un démon au charme étrange :

Résous le doute qui me prend.

Peut-être, tout cela est vide,

L'erreur d'un coeur encor candide !

Mon sort, peut-être, est différent...

Mais soit ! accepte mon offrande :

Mes jours sont tiens, si lourds qu'ils soient,

Je suis en larmes devant toi,

J'implore que tu me défendes...

Tu vois que je suis seule ici ;

Qui me comprend ici ? - personne ;

Je me languis, je déraisonne,

Et je dois donc me perdre ainsi.

Viens me chercher. J'attends. Ranime

D'un seul regard ce feu qui joue

Ou, par un blâme légitime,

Romps l'illusion d'un songe fou.

 

C'est fait. Je ferme cette lettre,

L'effroi, la honte au fond du coeur...

Mais mon garant est votre honneur,

J'ai foi en lui de tout mon être.

 

XXXII

Tania gémit, Tania soupire ;

La lettre tremble dans sa main,

Le ruban rose de la cire

Figé sur sa langue carmin.

Elle a penché sa douce tête

Sur le côté. Sa chemisette

Glisse le long d'un bras charmant.

Mais de la lune lentement

L'éclat s'efface. Dans la brume

Le val se montre. Le cours d'eau

Reluit. L'appel du pastoureau

S'élève, comme de coutume -

L'aube au village, un branle-bas ;

Tania ne le remarque pas.

 

Extrait 1 de la traduction d'André MARKOWICZ, chez ACTES SUD Editions, Collection de poche BABEL, page 110 à 113.   Extrait 2                                                                               

Quatrième de couverture sur le site de l'éditeur ; lecture (incomplète) de la lettre ; La mort de Pouchkine par Annie ANARGYROS : article sur Cairn.

 

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