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17 décembre 2015 4 17 /12 /décembre /2015 19:49

"Rêveur abimé dans le paysage"

Aprè l'armistice de 1918, dans l'Allemagne vaincue, les soldats français giflent les civils amassés sur les trottoirs, humiliés et saignés par le traité de Versailles. Ils s'en donnent à coeur joie et accaparent la nourriture, le bois, le charbon. A Paris, comme dans toute la France, on chante et on trinque, tandis que dans l'Allemagne aux frontières redessinées, chacun tente d'oublier la guerre absurde à laquelle il a obéi. Chômeurs, veuves, enfants, mutilés et soldats désoeuvrés envahissent les rues en criant haut et fort que plus jamais un affairiste, un politicien ou un officier ne rejouera une pareille bataille. La révolution allemande est en marche. Elle est vite écrasée.

En 1919, Ernst TOLLER, jeune bourgeaois pacifiste d'origine juive né en Prusse, participe à l'insurrection bavaroise avant d'être empoisonné. La même année, les leaders Jarl LIEBKNECHT et Rosa LUXEMBOURG sont assassinés. L'insurrection berlinoise et la République des Conseils de Munich sont réprimés dans le sang.

Engagé volontaire, TOLLER a combattu sur le front de l'Ouest un peu plus d'un an - "Voilà bien la guerre, dans toute sa brutale nudité, Guillaume II l'a qualifiée de "bain d'acier", les professeurs allemands disent qu'elle réveille les forces morales et la conscience du peuple."

Dans son livre Une jeunesse en Allemagne, dont il rédige la préface en 1933, "le jour où l'on a brulé mes livres", il raconte son engagement, cherche à expliquer la subite ascension d'Hitler au pouvoir en rappelant certains événements majeurs des années 1918 et 1919. Son livre s'en prend aux responsables de l'effondrement : républicains, révolutionnaires, syndicalistes, politicins et économistes qui tous ont pourri le peuple d'espoirs et de promesses : "Voilà bien le révolutionnaire allemand, débonnaire et inconscient, assis là en train d'additionner des chiffres et de contrôler des réserves, afin que tout soit en ordre quand il sera fusillé."

TOLLER n'épargne pas les écrivains qui se sont créés une image romanesque du prolétaire, pour finalement s'en désintéresser. Mais lui-même ne se défile pas : "Nous avons échoués, tous. Tous ont commis des fautes, tous sont coupables, tous ont fait preuve d'insuffisance. Les communistes tout autant que les socialistes indépendants. Notre engagement a été vain, le dévouement inutile, les travailleurs nous ont fait confiance, comment pouvons-nous maintenant assumer nos responsabilités vis-à-vis d'eux ?".

En 1933, déchu de sa citoyenneté, il quitte l'Allemagne pour Londres, puis New-York, où il se pend dans sa chambre d'hôtel le 22 Mai 1939.

C'est parce que les intellectuels n'ont pas su parler au peuple que celui-ci a succombé au fascisme. Ils ont laissé la place aux démagogues et aux journalistes.

Les intellectuels ne parlent qu'aux intellectuels, et à quelques politiciens qui leur donnent l'illusion d'avoir un mot à dire. Mais le peuple n'a que faire de leurs lubies. Il est un être opaque, une pulsation sourde qui bat à son propre rythme, s'interrompt soudain pour exploser, avant de revenir à son battement. C'est toujours lui qui bat la mesure. Le peuple : cette indicible entité qui résiste à toute définition, cette masse qui s'exalte dans la guerre et agonise dans la paix, qui semble parfois réclamer la vérité, voire incarner la "sagesse populaire", juste avant d'acclamer le pire. Le peuple est incompréhensible. Mais nous sommes tous le peuple et , en même temps, le peuple n'est pas nous. Il est un corps étranger. Les intellectuels ne font pas partie du peuple, puisqu' ils sont des intellectuels. Ils n'en sont pas l'élite, car ils ne le gouvernent pas, ne l'influencent pas. Qui est le peuple ?

Le peuple n'aime pas les pommes de terre : elle apportent la lèpre. Il faut que le roi de France lui-même consente à porter une fleur de patate sur sa couronne pour que le peuple mange enfin des pommes de terre.

Le peuple allemand aime Adolf HITLER, d'un amour sincère et irrésistible. Le peuple italien aime Bénito MUSSOLINI d'autant d'amour. Les peuples savent aimer leurs tyrans et se font eux-mêmes tyranniques. Les intellectuels qui se réclament du peuple voudraient être aussi tyranniques que lui. Ils sont prêts à collaborer avec le premier tyran venu.

Qui sait si un Reich millénaire ne reviendra pas un jour, à Berlin ou ailleurs, lorsque le peuple réclamera une nouvelle folie ? Tous les intellectuels du monde pourront bien se donner la main, ils n'y changeront rien.Même les intellectuels au service du fascisme ne servent à rien. On n'a jamais tué personne avec des mots. (pages 105 à 109)

 

Extrait de Manifeste incertain 1 de Frédéric PAJAK. Les Editions Noir Sur Blanc.187 pages.

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